Soixante-sept Grands Prix, deux pole positions, treize podiums et six victoires. Pas le moindre titre. Le palmarès de Gilles Villeneuve est trop mince, autant que sa carrière terminée à Zolder à seulement 32 ans.
Une carrière se joue souvent à un petit rien. Une rencontre. Celle de Gilles Villeneuve n’aurait certainement jamais dû passer par la F1. Le jeune Canadien n’a pas suffisamment de ressources financières pour accéder au plus haut niveau. Il débute sur des épreuves de dragsters aux commandes de sa propre Ford Mustang avant de devenir pilote professionnel de motoneige jusqu’à décrocher un titre de Champion du Monde de la spécialité en 1974.
Ses gains lui permettent d’aller en monoplace. Il évolue en Formule Atlantic et fait même une apparition au Grand Prix de Pau en F2… Le destin frappe en 1976. Quelques pilotes étrangers viennent disputer une manche de Formule Atlantic sur le circuit de Trois-Rivières. En route vers le titre, avec un style offensif déjà largement développé, Gilles Villeneuve s’impose devant Alan Jones (futur Champion du Monde de F1), James Hunt (titré en F1 cette année-là), Vittorio Brabilla (titulaire en F1 chez Beta et déjà vainqueur en Formule Atlantic), Bobby Rahal (bientôt trois fois Champion de CART), Patrick Tambay et Hector Rebaque (deux futurs pilotes de F1).
Il se dit que cette course extraordinaire lui a ouvert les portes de la F1. De retour en Europe, James Hunt trouve Teddy Mayer, responsable de l’écurie McLaren, pour lui recommander ce jeune Canadien.
Quelques mois plus tard, Teddy Mayer propose effectivement un premier test à Gilles Villeneuve. Un contrat est signé pour un maximum de cinq courses. Pour le Grand Prix de Grande-Bretagne 1977 – le premier de Renault avec son inédit moteur turbo – McLaren engage cinq monoplaces à moteur Ford, dont une ancienne M23 pour le débutant canadien.
Contraint de passer par les préqualifications du mercredi, il signe le meilleur temps devant Patrick Tambay, Jean-Pierre Jarier et Brett Lunger… Il passe encore les qualifications, quand Emilio de Villota – avec une autre McLaren – termine son week-end prématurément.
Qualifié en neuvième position, Gilles Villeneuve dévoile son style au monde de la F1. Et tandis que Jean-Pierre Jabouille casse un premier turbo en course et que James Hunt s’impose avec sa McLaren devant Niki Lauda en Ferrari, Gilles Villeneuve décroche la neuvième place.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, après un premier Grand Prix réussi.
Dans le Times, sa course est résumée ainsi : « Ceux qui cherchent un futur Champion du Monde n’ont pas à chercher plus loin que chez ce jeune pilote plein d’assurance. »
Pourtant, Teddy Mayer ne fait plus rouler Villeneuve et ne lui propose aucun contrat pour la saison 1978. Il lui préfère Patrick Tambay qu’il considère comme « moins cher » et dont le potentiel est équivalent.
Là, chacun possède son histoire. Ils sont plusieurs poignés à avoir glissé un mot à Enzo Ferrari à propos de Gilles Villeneuve. Beaucoup s’approprient un tête-à-tête décisif avec le Commendatore pour faire signer le Canadien.
Ce qui est sûr, c’est que le patron de Maranello a pris sous son aile un pilote au palmarès long comme un Grand Prix. Une situation pour le moins inhabituelle chez Ferrari.
« Quand ils m’ont présenté ce petit Canadien, cette minuscule boule de nerfs, j’ai immédiatement reconnu en lui le physique de Nuvolari et je me suis dit qu’il fallait lui donner sa chance », racontait plus tard Enzo Ferrari.
Une séance d’essais est rapidement organisée à Fiorani. Villeneuve n’aurait pas été bon. Plusieurs erreurs et des temps loin d’être significatifs… Pourtant, tout est déjà prêt : il signe pour deux Grands Prix en 1977 et la saison 1978.
Chez les Rouges, Niki Lauda et la Scuderia ne s’entendent plus. Depuis que Carlos Reutemann est son équipier, l’Autrichien se plaint de la pression qui lui est mise et il annonce son arrivée chez Brabham pour la saison suivante… En piste, il reste pourtant la référence. Sa régularité lui permet de décrocher le titre à Watkins Glen. Objectif atteint après 15 des 17 manches du calendrier, et face à l’engagement de Gilles Villeneuve sur une troisième Ferrari au Canada, Niki Lauda proclame son départ prématuré.
Villeneuve arrive donc dans une équipe qui a l’assurance de décrocher les deux titres avant même les deux dernières courses, mais avec une ambiance particulièrement lourde.
À Mosport, le Canadien entame son week-end en sortant de la piste en qualifications. 17e sur la grille, il revient au huitième rang avant de faire en tête-à-queue dans le 72e tour. Il repart 10e. Quatre tours plus tard, Andretti casse son moteur et répand dans l’huile sur la piste. Patrese, Brambilla, Ongais et enfin Villeneuve sont pris au piège. Et si Villeneuve parvient à ne rien heurter, sa transmission casse.
Au Japon, Gilles Villeneuve ne se qualifie qu’au 20e rang à Fuji. Au bout de cinq tours, un contact avec la Tyrrell P34 de Ronnie Peterson envoie les deux monoplaces hors-piste. Un commissaire et un photographe – placés dans une zone interdite – sont tués par les débris.
« Si on m’avait proposé trois vœux, mon premier aurait été de faire de la course, mon deuxième d’être en F1 et mon troisième aurait été d’être chez Ferrari. »
La saison 1978 débute mal. Le Canadien entre une fois dans les points sur les onze premiers Grands Prix. La presse italienne se déchaine et demande son remplacement. Pendant que Reutemann se bat pour le titre mondial, Villeneuve navigue autour de la quinzième place. Enfin, il décroche un premier podium en Autriche et s’impose lors de l’ultime course de la saison, à Montréal, sur le circuit qui portera son nom.
C’est un déclic. En 1979, Carlos Reutemann quitte Ferrari pour rejoindre Lotus et le Sud-Africain Jody Scheckter arrive aux côtés de Gilles Villeneuve. Malgré Alan Jones et Jacques Laffite, Ferrari domine la saison. À Monza, Scheckter peut décrocher le titre mondial. Au sein de la Scuderia, un accord est passé : les deux pilotes peuvent défendre leurs chances durant les deux premiers tiers de la course. Ensuite, les positions seront figées. Le Sud-Af part en tête, Villeneuve le harcèle jusqu’au 33e des 50 tours. Puis, il le laisse s’imposer, pour respecter la parole donnée avant le départ.
L’hiver se passe parfaitement. Les bookmakers britanniques placent Villeneuve en large favori pour décrocher le titre mondial. La saison 1980 est pourtant un désastre. La Ferrari ne profite pas de l’effet de sol développé par d’autres écuries. Villeneuve décroche deux cinquièmes et deux sixièmes places. Il termine quatorzième du championnat. Scheckter fait pire et annonce sa retraite.
De ces années faites de hauts et de bas, un lien filial se tisse entre Gilles Villeneuve et Enzo Ferrari. Le Canadien fait figure d’intouchable.
Profondément attaché à son pays, Enzo Ferrari pouvait offrir toute sa confiance à un étranger, tant qu’il montrait une pointe de Garibaldi – père de la nation italienne – dans ses gènes.
Ceux qui ont connu Villeneuve diront qu’il n’avait rien de facile. Il détestait que sa Ferrari le lâche. C’était un attaquant généreux, bourré de talent, qui ne supportait pas la trahison de la mécanique. Pourtant, il massacrait ses voitures et collectionnait les tête-à-queue. Loin des circuits, on le voyait en Ford Bronco, en FIAT 124 Spider ou en Ferrari 328, sur son bateau ou dans son hélicoptère…
1981. Ferrari possède enfin un moteur turbo et Gilles Villeneuve choisit un numéro qui marquera l’histoire : le 27. C’est une formule magique. Le titre ne sera pas au bout, encore une fois. Mais à Monaco, le Canadien est à l’œuvre. Le temps de réponse des turbos est insolent. Le pilote appuie sur la pédale. L’énorme puissance arrive plus tard. Là où la souplesse est un gage de sécurité, la mécanique des F1 modernes est un piège.
Qualifié sur la deuxième ligne de la grille de départ, Gilles Villeneuve doit patienter ce dimanche après-midi. Une fuite d’eau dans l’hôtel du Loews noie l’entrée du tunnel. Nelson Piquet s’envole au départ avec sa Brabham BT49C à moteur atmosphérique. Derrière, Villeneuve est en délicatesse avec ses freins. Il laisse passer Alan Jones en Williams FW07, elle aussi avec le V8 DFV.
Après les freins, les pneus de la Ferrari donnent des signes de faiblesse. Dans les rues de Monaco, qu’il habite toute l’année, Villeneuve fait danser sa F1. Les sorties de virages sont marquées par des petites glissades. Chaque coup d’accélérateur sur les grosses roues arrière est compensé par un contre-braquage des petites roues avant. La Ferrari est au-dessus de l’asphalte. Gilles Villeneuve est un magicien. Nelson Piquet sort, Alan Jones casse. La Ferrari passe et gagne. Un moteur turbo gagne pour la première fois à Monaco. Et seul Gilles Villeneuve pouvait le faire en 1981.
Il remporte encore le Grand Prix suivant à Jarama. La suite sera plus compliquée avec cinq abandons et une disqualification en huit courses. 1982 commence de la même façon… Jusqu’à Zolder.
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