Plusieurs fois, Ford a tenté l’aventure des marques premium, souvent en pure perte. Mais l’échec le plus démentiel est celui d’Edsel à la fin des années 1950. Destinée à honorer la mémoire du fils d’Henry Ford, l’aventure est entrée dans l’histoire du capitalisme américain : Edsel est désormais un synonyme d’échec commercial. Un cas d’école…
Ford Motor Company devient une entreprise cotée en 1956. Elle n’est donc plus tout à fait entre les mains de la famille Ford. Au sein du groupe, ce sont les grandes manœuvres. Lincoln est destiné à monter en gamme et Continental devient une marque à part entière…
Parallèlement, Ford développe une nouvelle berline intermédiaire sous le nom de code « E car », qui veut alors dire Experimental Car. Durant les travaux, le conseil d’administration décide que ce nouveau modèle sera baptisé Edsel, en mémoire d’Edsel Ford, fils du fondateur Henry Ford et disparu en 1943 d’un cancer à 49 ans. Henry Ford II, le fils d’Edsel, est foncièrement contre ce choix, mais il doit l’accepter. Utopian Turtletop et Intelligent Whale faisaient partie des autres propositions…
Robert McNamara est l’une des têtes pensantes du Ford de l’époque. Après une carrière dans l’Armée de l’Air durant la Seconde guerre mondiale (il est considéré comme l’un des initiateurs du largage de bombes incendiaires sur le Japon qui a fait 100 000 morts en une nuit), il entre chez Ford avant ses quarante ans.
Edsel se veut tellement expérimental et moderne que Ford Motor Company décide de créer spécialement une nouvelle marque, sous la forme d’une start-up. En quelques mois, le groupe met sa puissance au profit du projet. Les investisseurs sont assurés du potentiel du projet et la presse est abreuvé de promesses. L’Edsel sera supérieure aux Oldsmobile, Buick ou De Soto.
Durant un an, le marketing est en marche pour annoncer le E-Day : 4 septembre 1957 !
Ford enchaine les phases de communication. Ses études de marché montrent qu’il y a une clientèle pour son Edsel, un véhicule totalement nouveau…
Problème, le jour de la révélation, le public n’y voit qu’une simple nouveauté et la presse pointe les similitudes avec d’autres modèles du groupe Ford. Réaction immédiate avec la programmation d’une émission spéciale diffusée en prime time durant une heure sur CBS. The Edsel Show regroupe les stars du moment, de Bing Crosby à Franck Sinatra en passant par Louis Armstrong et Bob Hope en invité mystère pour un coût estimé à 250 000 dollars… Le programme est un immense succès. Il est diffusé en direct sur la côte est et enregistré pour être sur les écrans de la côte ouest trois heures plus tard.
The Edsel Show fut l’une des émissions les plus regardées de l’année 1957 aux Etats-Unis. Dans la foulée, Bing Crosby a signé un juteux contrat pour produire deux émissions spéciales par an pour ABC. L’émission a reçu le trophée de meilleur show musical du magazine Look et une nomination aux Emmy Awards… Et pourtant, les commandes d’Edsel n’ont pas frémi.
Edsel avait alors lancé son propre réseau de distribution. Face à l’absence de clients, la marque est intégrée à un pôle Mercury-Edsel-Lincoln dès le mois de janvier 1958. D’un coup, le nombre de points de vente passe d’un gros millier à environ 10 000. Mais les Edsel ne se vendent toujours pas.
Elles étaient pourtant originales. Une célèbre option appelée « Teletouch Electric Push Button Transmission Selector » est la sélection de la boîte automatique par boutons placés dans le moyeu du volant !
Les Edsel amassent un maximum de gadgets pour plaire à une nouvelle clientèle. Trois empattements sont proposés avec une Citation cabriolet en haut-de-gamme.
La face avant est néanmoins très particulière et l’arrière se révèle, en revanche, plus modeste que les concurrentes des autres groupes. Sous le capot, Ford place deux V8 de 303 et 345 chevaux. Si la promesse de Ford d’arriver avec une voiture révolutionnaire n’est clairement pas tenue, le produit est réussi. Mais il ne se vend pas.
En 1959, la gamme est simplifiée et un petit V6 de 145 chevaux fait son apparition. Mais rien n’y fait. Pour 1960, la calandre est modifiée et l’arrière retouché. L’Edsel est désormais sobre et deux modèles survivent encore. La Ranger est alors affichée à 2 635 dollars, tout à fait dans les tarifs de la concurrence, mais personne n’en veut.
En novembre 1960, une unique réunion suffit sous la direction du nouveau président Robert McNamara : Edsel n’existe plus. Ce nom qui devait être un hommage entre dans les livres d’histoire comme un cuisant échec. Le premier président de Ford à ne pas appartenir à la famille du fondateur ne reste que cinq semaines à la tête du groupe, le temps de débrancher Edsel. Il est alors appelé par John F. Kennedy pour devenir Secrétaire à la Défense des Etats-Unis durant plus de sept ans. Il aura à gérer la crise des missiles de Cuba et la guerre du Vietnam, avant de devenir président de la Banque mondiale durant treize ans…
EdselFord