Comment accompagner l’entrée de la France dans les trente glorieuses ? Après la populaire 4 CV, Renault imagine les familles françaises au volant d’une grande berline moderne : la Frégate. Et, déjà, le Losange se manque sur sa proposition haut-de-gamme qui ira même jusqu’à coûter la vie à son président.
Nous sommes en 1944. Les usines Renault viennent d’être libérées et Louis Renault est incarcéré à la prison de Fresnes. Accusé d’avoir collaboré avec l’ennemi, le fondateur de Renault meurt avant son procès.
Dès le mois de septembre, les sites de production sont réquisitionnés pour participer à l’effort de guerre. Pierre Lefaucheux est nommé administrateur provisoire. Il entame une longue reconstruction et dessine une nouvelle hiérarchie.
Dès le début de l’année 1945, l’ordonnance de nationalisation est proclamée. La Régie Nationale des Usines Renault est créée en reprenant tous les actifs de Renault. Pierre Lefaucheux en devient Président Directeur Général.
Tous les efforts sont alors destinés à faire de la 4 CV la voiture populaire française par excellence. L’objectif est de motoriser le pays tout en se montrant conquérant face aux Volkswagen Coccinelle, Morris Minor et FIAT 500. Dans l’Hexagone, la position de Renault permet à la 4 CV de profiter de tout l’acier disponible. Citroën prend un énorme retard dans la production de sa 2 CV à cause de cette pénurie organisée.
Enfin sur de bons rails, la Régie rêve d’une grande berline pour accompagner la 4 CV alors que les années 1950 se profilent.
Le projet 108 date de 1946. Pour Lefaucheux, il faut contrer la Traction de Citroën avec une proposition bien plus moderne. Il lance la conception d’une grande berline 6 places (deux banquettes trois places) avec un moteur 2 litres 4 cylindres placé à l’arrière.
Les ingénieurs de Renault abandonnent cette configuration du moteur arrière, emprunté à la 4 CV. La Frégate prend du retard et Pierre Lefaucheux fait accélérer le rythme pour une présentation au Palais de Chaillot le 30 novembre 1950. La mise au point est bâclée. Un an plus tard, lors du Salon de l’Auto 1951, le carnet de commande est ouvert. La toute nouvelle usine de Flins entame la production.
La grande Renault est imposante. Les lignes de Robert Barthaud offrent une large habitabilité, avec un énorme coffre. Sur la route, c’est pourtant une déception. Renault avait choisi de partir de la base du petit 760 cm3 de la 4 CV pour produire un 1 996 cm3 qui développe 56 chevaux. C’est trop peu pour les 1 230 kg d’une grande routière. La presse – l’Auto-Journal en tête – pointe ce manquement et le début de carrière de la Frégate est chaotique.
Pourtant, Renault joue adroitement du marketing. Le tout premier modèle est livré le 22 novembre 1951 au baron Surcouf, descendant du corsaire devenu l’un des plus riches armateurs de Saint-Malo. Le directeur commercial de la Régie remet les clés d’une Frégate au baron dans le magasin d’exposition des Champs-Elysées (devenu Atelier Renault) tandis que le personnel est habillé en corsaire. Une fois la cérémonie terminée, la Frégate du baron est escortée par cinq autres Frégate jusqu’à Saint-Malo pour une autre réception avec les personnalités locales.
Mais les premiers clients ne se montrent pas satisfaits de leur Frégate. Rapidement, Renault réagit. Le pont arrière reçoit une profonde évolution. Moteur, boîte, direction, insonorisation… Tout est revu. En 1955, une nouvelle calandre fait son apparition et le moteur passe à 64 chevaux. Enfin, la Frégate atteint 135 km/h. Cette année-là, les ventes dépassent les 50 000 unités. Les noms sont évocateurs : Amiral, Etendard ou Grand Pavois.
Pourtant, la Frégate fait une nouvelle fois vaciller Renault. Son président, Pierre Lefaucheux prend la route de Strasbourg pour une conférence. Au volant de sa Frégate, il est victime d’un accident de la route. Piégé par une plaque de verglas, il se tue dans la grande berline qu’il avait tant voulu.
Pierre Dreyfus lui succède. Malgré une innovante, mais lourde, boîte automatique et un break, les ventes retombent après 1955. L’arrivée du moteur 2,2 litres 77 chevaux et des victoires dans des concours d’élégance n’y changent rien. En 1960, il décide de mettre un terme à la production après le lancement de 180 000 Frégate sur les routes. 180 000 Frégate en huit ans, dont plus de 50 000 sur la seule année 1955.
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