Personne n’avait vu ça comme un miracle. Depuis près de huit années, aucun pilote de F1 n’avait trouvé la mort. En 1994, il parait acquis que la discipline est entré dans une nouvelle ère. En quelques heures, tout un monde s’écroule, en touchant la F1 de toutes parts.
Bernie Ecclestone a passé la décennie 1970 à prendre le pouvoir. Dans les années 1980, il l’a exercé. Au fil des championnats, il a modelé le calendrier pour toucher de nouveaux marchés et transformer ce Championnat du Monde en sport global destiné à devenir le théâtre des plus grands échanges commerciaux.
Dans les années 1990, les pilotes passent de plus en plus de temps à jouer les VRP pour les partenaires qui injectent des sommes folles dans une compétition automobile transformée en plateforme commerciale. Le sport devient petit à petit en prétexte. La télévision est partout pour relayer les exploits de ces nouveaux gladiateurs aux monoplaces bourrées d’électronique, autant que les interviews durant lesquelles sont cités des sponsors.
Des dizaines de millions de téléspectateurs s’ajoutent chaque dimanche à la centaine de milliers massée derrière des grilles. Ecclestone a transformé une série de Grands Prix en un vrai championnat suivi épisode par épisode. En Europe, en Amérique du Sud et, de plus en plus, en Asie, on se cale devant la télévision pour suivre chaque acte.
Course technologique pour les équipes et les constructeurs, la F1 s’embourbe de plus en plus dans des querelles politiques. En cause : l’interdiction de certaines aides au pilotage qui ne seraient pas respectées par toutes les équipes.
De la politique aux drames
La FIA s’occupe davantage de ces suspicions que du reste. Et lorsque le paddock s’installe à Imola, en l’absence d’Eddie Irvine suspendu pour trois courses pour avoir causé un accident au Brésil, personne n’imagine que le ciel va tomber sur la tête de la F1.
Le désastre commence dès le vendredi. Rubens Barrichello écrase sa Jordan dans les grillages au-dessus des protections de la Variante Bassa. La monoplace rebondit et termine à l’envers. Le Brésilien perd connaissance et avale sa langue. La rapide intervention des équipes médicales le sauve, mais Barrichello doit rester au repos pour le reste du week-end avec un nez cassé et un bras dans le plâtre. Pendant ce temps-là, Ayrton Senna signe le temps de référence avec sa Williams.
Le lendemain, Roland Ratzenberger, Autrichien inconnu du grand public, perd le contrôle de sa Simtek dans la courbe Villeneuve. Sa voiture, vraisemblablement endommagée au tour précédent lorsque son pilote a escaladé un vibreur, percute le mur de pleine face. La cellule de survie est percée. D’importants moyens sont déployés. Il subit un massage cardiaque sur la piste avant d’être héliporté à Bologne. La séance est interrompue, puis annulée lorsque la mort de Roland Ratzenberger est prononcée.
Le paddock est sous le choc, mais « The show must go on ». En déclarant la mort du pilote à l’hôpital plutôt qu’en piste, le circuit Enzo e Dino Ferrari reste utilisable. Dans ses mémoires, le Docteur Sid Watkins, qui dirige les équipes médicales du Championnat du Monde de F1, raconte qu’il tente de convaincre Ayrton Senna de mettre un terme à sa carrière dans l’instant. En pleurs, le Brésilien lui aurait répondu qu’il n’avait « pas le contrôle sur certaines choses » et qu’il devait continuer.
La grille de départ est composée selon les temps précédemment enregistrés. Ayrton Senna signe sa 65e pole position devant Michael Schumacher, Gerhard Berger et Damon Hill.
Au départ, JJ Lehto cale. La Benetton Ford, placée sur la troisième ligne, est évitée par la quasi-totalité du peloton. Mais, déjà lancé, Pedro Lamy ne voit pas la monoplace du Finlandais et heurte l’arrière gauche. Sa Lotus décolle et des débris volent jusqu’au public. Quatre spectateurs sont blessés et la voiture de sécurité neutralise la course le temps de nettoyer la ligne droite des stands.
De nouveau sous drapeau vert, Ayrton Senna mène la course. Au départ du sixième tour, sa monoplace tire tout droit dans Tamburello. La Williams Renault heurte violemment le mur. Derrière, tout le peloton tente d’éviter les multiples débris. Erik Comas s’arrête en espérant pouvoir aider celui qui lui avait sauvé la vie lors du Grand Prix de Belgique 1992.
Les docteurs tentent de sauver Ayrton Senna. Après de longues minutes à quelques mètres de la trajectoire, le pilote est héliporté vers Bologne. À ce moment-là, le paddock est pessimiste, l’ambiance est lourde, mais aucune information ne filtre. La direction de course fait redémarrer la course. Lors d’un arrêt au stand, Michele Alboreto perd une roue qui blesse un mécanicien de la Scuderia Ferrari et un autre débris heurte un membre de l’équipe Lotus. À l’arrivée, Michael Schumacher gagne devant Nicola Larini et Mika Hakkinen. Le Grand Prix devait arriver à son terme pour respecter tous les contrats.
La mort d’Ayrton Senna est prononcée à 18h03. L’information arrive sur le circuit moins de quinze minutes plus tard. Du statut d’idole, Ayrton Senna passe au mythe. Mais est-ce que les choses ont changé ? A-t-on tout fait pour éviter l’accident de Jules Bianchi ?
Illustration : Mario Palpati
Ayrton SennaF1