S’il ne fallait garder qu’un unique gros titre de l’actualité automobile de l’année 2015, ce serait forcément « l’affaire Volkswagen ». Un peu plus de trois mois après la révélation d’une tricherie visant à passer les tests d’homologation américain, le point sur ce que l’on sait…
Le 10 décembre, Hans-Dieter Pötsch – nouveau président de la marque Volkswagen – affirmait : « Aucune transaction commerciale ne justifie d’outrepasser la loi et la morale liée. » Une mince déclaration pour justifier la suspension de neuf cadres…
Dans un communiqué, le groupe avouait : « ça n’a pas été une erreur isolée, mais plutôt une chaine d’erreurs qui ont été autorisées à se produire. Le point de départ était une décision stratégique de lancer une vaste campagne sur les véhicules diesel aux États-Unis en 2005. Initialement, il a été impossible de respecter les normes requises en termes de NOx aux États-Unis sur les moteurs EA 189 en prenant en compte le temps et le budget alloués. Cela a mené à l’introduction du logiciel qui a permis d’ajuster les niveaux d’émissions des NOx selon que le véhicule soit sur route ou sur banc. Ensuite, lorsqu’un processus technique effectif a été disponible pour réduire les émissions de NOx, il n’a pas été utilisé dans toute la mesure du possible. Au contraire, le logiciel en question a permis à l’additif de traitement de gaz d’échappement « AdBlue » d’être injecté en quantité variable afin que les valeurs de NOx soient particulièrement basses en phase de test, mais significativement plus élevées lorsque les véhicules étaient sur route. »
Mais au-delà de la centaine de téraoctets collectée et analysée, il fallait faire tomber des têtes… Faire tomber des têtes pour affirmer un changement d’état d’esprit dans une société qui se révèle elle-même. Ce même 10 décembre, Volkswagen envoie un communiqué dans lequel il est écrit : « Des faiblesses dans certains processus (…) Une attitude de la part de certains employés qui consistait à tolérer les infractions à la loi dans certains départements de l’entreprise (…) Il est évident que par le passé, les déficiences dans les processus ont favorisé les manquements de la part de certains individus. »
Comment un groupe comme Volkswagen a-t-il pu en arriver à un tel acte ?
Depuis le début des années 1970, le Environmental Protection Agency (EPA) américain a introduit des standards d’émissions de plus en plus draconiens pour les véhicules légers. Faciles à atteindre durant des années et des années, ces tests obligeaient les constructeurs à progresser continuellement pour proposer des produits de moins en moins polluants…
Pour l’année-modèle 2004, l’homologation est devenue beaucoup plus contraignante. Les autorisations d’émissions d’oxydes d’azote ont baissé de 94 %, de 1,25 à 0,07 gramme par mile.
À cette époque, l’agence américaine avait l’ambition de tuer le NOx venant des pots d’échappement et des cigarettes après une série d’études montrant l’implication de ces composés chimiques dans les maladies cardiovasculaires et respiratoires, menant vers des décès prématurés.
Ces nouveaux standards furent un incroyable défi pour tous les constructeurs automobiles engagés sur le marché américain. Premier visé : le groupe Volkswagen qui était en train de tenter une offensive avec ses moteurs TDI…
À cette époque, les marques allemandes faisaient la publicité de la technologie Diesel pour profiter de davantage de couple et d’une autonomie plus importante qu’avec l’essence traditionnelle. En contrepartie, les émissions d’oxydes d’azote sont supérieures…
C’est là que les marchés européens et américains sont très différents. En Europe, où ces normes gouvernementales ne sont pas aussi strictes, le marché du Diesel dépasse les 50 %… De l’autre côté de l’Atlantique, il n’atteint pas 5 % !
Au début du millénaire, face au défi proposé par l’EPA, les rivaux de Volkswagen se retirent… Mazda, Honda, Nissan et Hyundai changent leur plan et abandonnent leurs ambitions de vendre des moteurs Diesel aux États-Unis.
Pour ces constructeurs asiatiques, le défi proposé nécessitait trop d’investissements pour préserver des performances convenables. Ils ont tous quitté le marché du Diesel.
Chez Volkswagen, ce défi s’est transformé en opportunité. Sa nouvelle génération de moteurs Diesel a été mise sur le marché en 2008… Après avoir été décerné à trois modèles hybrides de Mercury, Toyota et Chevrolet, le trophée Green Car of the Year tombait dans l’escarcelle du Groupe Volkswagen en 2009 pour la Volkswagen Jetta TDI « Clean Diesel » et en 2010 pour l’Audi A3 TDI « Clean Diesel ».
Cette réussite n’était pourtant pas le résultat de progrès environnementaux. Ce succès avait une raison principale : l’adoption d’un logiciel qui modifiait le comportement du moteur pour passer les tests américains.
Lorsque les autorités américaines recevaient les voitures pour l’homologation, les TDI émettaient beaucoup moins que « dans la vraie vie »… Loin des procédures habituelles, les émissions de NOx dépassaient pourtant les valeurs autorisées de près de 40 fois.
Après la révélation, de multiples enquêtes ont été menées en interne et en externe. Tout le monde se souvient du patron de Volkswagen USA s’autorisant un « We totally screwed up »… (D’ailleurs, Michael Horn est l’un des seuls cadres directement impliqués à avoir conservé son poste) Mais il en fallait plus pour expliquer les problèmes du groupe allemand et proposer rapidement une solution.
Lors des auditions, les enquêteurs ont cru comprendre que seuls quelques ingénieurs étaient impliqués et que la décision n’avait pas été prise par l’entreprise… Mais, quelques semaines plus tard, Hans-Gerd Bode – tout juste nommé Directeur de la Communication du Groupe Volkswagen – modifiait l’angle d’attaque. Dans Newsweek, il affirmait : « Nous avons eu des plaintes de personnes qui disaient qu’elles avaient essayé d’avertir leur hiérarchie à ce sujet. Ça a été vérifié par nos enquêteurs externes. »
Le résultat de ces investigations montre qu’une cinquantaine de personnes de Wolfsburg a avoué savoir qu’un programme lié aux émissions était implémenté dans les voitures. Ces cinquante personnes ont bénéficié d’une amnistie, réservée aux non-cadres, pour faire progresser les recherches.
Ce déballage sur la place publique a autorisé quelques experts à analyser la vie à l’intérieur du Groupe Volkswagen… La culture de l’entreprise, autrefois citée en exemple pour sa performance industrielle et salariale avec de mirobolants bonus de fin d’année, est devenue une référence « d’autocratie » pour Ferdinand Dudenhöffer, directeur du centre de recherche de l’Université de Duisburg-Essen. « Volkswagen est complètement différent des autres constructeurs automobiles. Ce n’est pas démocratique, c’est autocratique. C’est un système qui est concentré sur ses racines et Wolfsburg. Il n’y a pas de globalité dans sa manière de penser. »
(Comme si les autres constructeurs étaient démocratiques)
Il est encore difficile d’évaluer le nombre d’employés impliqués… Quelques cadres, dont le patron du groupe et héritier désigné Martin Winterkorn, ont déjà été suspendus. Surtout, il sera difficile de trouver celui qui a émis l’idée de créer le code, celui qui l’a autorisé et celui qui l’a écrit, au milieu des centaines de millions de lignes qui composent la partie logicielle d’une voiture ! Car il est fort probable qu’il ne soit même pas un salarié de Volkswagen et qu’il suive tout ça, avec le sourire, loin de Wolfsburg ou de Washington.
Reste que si la tricherie est avérée, les clients attendent encore une solution.
Mi-décembre, le Groupe Volkswagen a présenté à l’Autorité Fédérale Allemande des Transports (KBA) les mesures qui vont être appliquées pour les moteurs diesel EA189 1,2, 1,6 et 2,0 litres. Après un examen approfondi, la KBA a entièrement validé l’ensemble des mesures. Les propriétaires de véhicules (dans le monde entier) seront bientôt informés sur les prochaines étapes. Afin que les mesures correctives soient réalisées rapidement, Volkswagen commencera la mise en œuvre dès le début de l’année 2016. On attend désormais les tests qui montreront comment auront évolué les moteurs, si une perte de puissance ou de couple est significative.
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