Dans l’histoire d’Alfa Romeo, certains modèles sont devenus des icônes intemporelles, tandis que d’autres n’ont jamais dépassé le stade du prototype. C’est le cas de la Tipo 103, un projet de berline compacte ultramoderne qui, malgré des caractéristiques techniques prometteuses, a été abandonné en 1961. Pourtant, son influence s’est faite sentir bien au-delà des murs de l’usine milanaise, jusqu’à inspirer des modèles d’autres constructeurs, dont Renault.
Le contexte : Alfa Romeo en pleine mutation
Après la Seconde Guerre mondiale, Alfa Romeo évolue d’un statut de constructeur de voitures sportives et luxueuses vers celui d’un fabricant d’automobiles de grande série. Sous l’égide de l’IRI (Istituto per la Ricostruzione Industriale), l’entreprise milanaise lance la 1900 en 1950, puis la Giulietta en 1954, qui rencontre un grand succès auprès du public. Ces modèles marquent une transition vers des véhicules plus accessibles, accompagnant la croissance économique italienne des années 1950 et le développement d’une nouvelle classe moyenne avide de mobilité.
Cependant, la demande pour des voitures encore plus compactes et économiques se fait sentir. Le succès de la Fiat 600, lancée en 1955, en est la preuve éclatante. Alfa Romeo, qui cherche à étendre sa gamme vers le bas, réfléchit alors à une nouvelle citadine innovante. La Finmeccanica, division industrielle de l’IRI, voit dans cette opportunité un moyen d’accroître la rentabilité de la marque et de toucher un public plus large.
Une berline révolutionnaire en gestation
Dès 1958, l’ingénieur Rudolf Hruska, consultant pour Finmeccanica et figure clé du développement de l’Alfasud quelques années plus tard, évoque l’idée d’un modèle compact à traction avant avec Giuseppe Busso, alors directeur des études d’Alfa Romeo. Les premiers plans de ce projet, baptisé Tipo 103, voient rapidement le jour.
La voiture se distingue par une conception avant-gardiste : elle adopte une architecture monocoque, une traction avant (une rareté chez Alfa Romeo à l’époque) et un moteur quatre cylindres double arbre de 900 cm³, dérivé des mécaniques sportives de la marque. Son châssis bénéficie de quatre roues indépendantes et de quatre freins à disque, une prouesse technique pour un véhicule de cette catégorie dans les années 1960.
Le design de la Tipo 103, bien que fonctionnel, est également élégant et moderne. Avec ses lignes anguleuses et ses proportions équilibrées, elle affiche un style qui n’est pas sans rappeler la future Giulia. Mais plus surprenant encore, certains observateurs estiment que son influence stylistique se retrouvera plus tard sur la Renault 8.
Une annulation aux raisons stratégiques
Alors que la Tipo 103 est quasiment prête à entrer en production en 1961, Alfa Romeo décide d’abandonner le projet. Officiellement, plusieurs raisons sont avancées. Tout d’abord, des doutes émergent quant à la rentabilité d’un modèle aussi sophistiqué destiné à un segment de marché où les marges sont plus faibles. Alfa Romeo, réputé pour ses mécaniques performantes et ses voitures haut de gamme, hésite à s’aventurer trop loin dans la catégorie des citadines, un marché dominé par Fiat.
D’autre part, un accord tacite semble exister entre Alfa Romeo et Fiat : ce dernier s’engage à ne pas concurrencer directement les modèles haut de gamme d’Alfa Romeo, à condition que celle-ci n’envahisse pas le marché des petites voitures. Or, depuis 1958, Alfa Romeo distribue en Italie la Renault Dauphine, concurrente de la Fiat 1100. Lorsque Fiat dévoile en 1961 la 2300 S Coupé, un modèle en concurrence directe avec l’Alfa 2600 Sprint, certains y voient un avertissement adressé à Alfa Romeo pour qu’il reste à sa place.
Une influence insoupçonnée sur Renault
Malgré son annulation, la Tipo 103 ne tombe pas totalement dans l’oubli. Son influence stylistique transparaît dans plusieurs modèles ultérieurs d’Alfa Romeo, notamment la Giulia, mais aussi chez un constructeur français inattendu : Renault.
À l’époque, Renault et Alfa Romeo entretiennent des liens étroits. Les échanges techniques et industriels entre les deux marques permettent à certains éléments de design et de conception de voyager entre l’Italie et la France. La Renault 8, lancée en 1962, présente des similitudes frappantes avec la Tipo 103, notamment au niveau de son capot nervuré et de son allure générale. Une coïncidence ? Peut-être pas.
Une Alfa Romeo qui aurait pu tout changer
Si elle avait vu le jour, la Tipo 103 aurait sans doute bouleversé l’histoire d’Alfa Romeo, en faisant entrer la marque sur le marché des compactes plus tôt et avec une approche bien plus moderne que celle de la Fiat 128 ou même de l’Alfasud. Son abandon marque un tournant stratégique, confirmant la volonté de la marque de rester sur un positionnement plus premium, tout en laissant le segment des petites voitures aux autres constructeurs.
Aujourd’hui encore, la Tipo 103 reste une fascinante « what if » de l’histoire automobile, une Alfa Romeo compacte et avant-gardiste qui aurait pu modifier le destin du constructeur milanais. Un projet oublié, mais dont l’influence s’est discrètement fait sentir bien au-delà de ses prototypes.
Alfa RomeoRenault