La première des six voitures de course Type 59 Sports, produites dans les années 1930, existe aujourd’hui encore sous sa forme presque originale et est considéré comme un précieux témoin des succès de Bugatti dans l’histoire de la course automobile.
Cuir de sièges élimé. Volant portant les stigmates des efforts héroïques du pilote. Traces de duels acharnés et usures dues à la vitesse. Si cette Bugatti Type 59 Sports pouvait parler, elle aurait beaucoup d’histoires à raconter sur cette époque où elle était poussée à l’extrême aux quatre coins du monde.
Les victoires, c’est ce qui définit le mieux la Type 59 Sports. Cette deux places cabriolée est d’abord construite, en 1934, comme une Type 59 Sports, avec un châssis de Type 57. Peu après, elle est dotée d’un nouveau châssis spécial, en vue des nombreux Grand Prix à venir, où elle allait passer entre les mains des courageux pilotes de la maison Bugatti
Son palmarès est aussi étayé que celui de ses célèbres propriétaires et pilotes. Au milieu des années 1930, René Dreyfus, coureur d’élite à l’époque de l’avant-guerre et héros de la résistance française, de même que Robert Benoist et Jean-Pierre Wimille, pilotes de course, prennent le volant. L’un des derniers propriétaires de ce véhicule fut le roi de Belgique Léopold III, fervent amateur de Bugatti.
Dernièrement, la Type 59 Sports s’est vue attribuer le prestigieux « FIVA Trophy » dans la catégorie « Best Preserved Pre-War Car » au renommé Concorso d’Eleganza à la Villa d’Este en Italie, et ce aux côtés de certaines des plus belles voitures classiques des autres marques.
Un vrai pure-sang
Bugatti présente la Type 59 Sports pour la première fois lors du Grand Prix de Saint-Sébastien le 24 septembre 1933 : une merveille technique, à la fois puissante et délicate. Le moteur à compresseur et ses huit cylindres alignés s’intègrent presque parfaitement sous sa ligne basse et élancée. Les roues, dont les rayons sont composés de cordes de piano, réduisent fortement les masses non suspendues et, grâce à de nouveaux amortisseurs très complexes, assurent une conduite équilibrée – le tout avec un confort inhabituel pour une voiture de course. Aussi élégante que rapide, la Type 59 Sports symbolise la recherche constante d’Ettore Bugatti pour de plus grandes performances et de meilleures caractéristiques de conduite.
Bugatti lance d’abord cette Type 59 Sports d’usine, équipée d’un huit cylindres de 3,3 litres (no 5), à l’occasion de la saison 1934-1935. Dès avril 1934, le pilote René Dreyfus prend la troisième place du Grand Prix de Monaco. Au mois de juillet de la même année, c’est en quatrième position que Robert Benoist franchit la ligne d’arrivée du Grand Prix de France à Montlhéry, tout comme, quelques semaines plus tard, lors du Grand Prix de Belgique à Spa-Francorchamps. Au Grand Prix d’Espagne, en septembre, Jean-Pierre Wimille termine à la sixième place. Ettore Bugatti – habitué aux victoires – met un terme à sa participation aux Grand Prix automobiles avec la Type 59 Sports et revend quatre véhicules à des amateurs britanniques. L’un des exemplaires sera transformé en voiture de course, par la marque dans ses ateliers à Molsheim. C’est du jamais vu chez Bugatti et ce, jusqu’à aujourd’hui car elle reste encore à ce jour la seule voiture de Grand Prix à avoir été transformée en voiture de sport, à l’usine. Témoin de son époque glorieuse, elle est aujourd’hui conservée dans son état quasi original, à peine restaurée.
A l’époque, les ingénieurs retirent le compresseur du compartiment moteur et le remplacent par un nouveau réservoir à carburant avec une lubrification à deux pompes et une transmission à quatre rapports entièrement synchronisée et un carter sec avec couplage central. Ils redéfinissent également la forme de la carrosserie sous le nouveau numéro de châssis 57248 : petites ailes de moto, petit pare-brise, petits phares et portières latérales en position très basse.
Ils en font ainsi une deux places non plus destinée à la route uniquement, mais aussi aux circuits. C’est justement sur circuits, à partir de 1935, dans la nouvelle classe des 750 kg, que Jean-Pierre Wimille la pilotera de plus en plus. Au volant de cette Type 59 Sports, il remporte entre autres les Grands Prix de Pau, de Tunis et de Marseille durant la saison de course automobile de 1937. Surnommée avec affection « La Grand-Mère » par les mécaniciens de Molsheim, cette voiture de sport participe à plusieurs courses en Afrique et remporte la dernière édition du Grand Prix d’Algérie. En juillet 1937, Jean-Pierre Wimille remporte son dernier Grand Prix au volant de la Type 59 Sports, le Grand Prix de la Marne sur le circuit de Reims, en franchissant la ligne d’arrivée trois minutes avant le deuxième. Rapide et ingénieuse, cette Bugatti fait sensation dans le milieu. À la fin de la saison, cette voiture d’exception aux nombreuses victoires est rachetée par un client fidèle de Bugatti au beau palmarès de course : Léopold III, roi de Belgique de 1934 à 1951.
En exclusivité pour lui, Ettore Bugatti fait repeindre la voiture, jusque-là bleue, dans la couleur préférée du roi, le noir, et la fait orner de bandes jaunes rappelant les couleurs de course de la Belgique. Ce que le roi fait de cette puissante voiture de sport dans les années qui suivent reste un mystère. La Bugatti est probablement entreposée, à la veille de la guerre, et peu utilisée durant de nombreuses années. Leopold III et sa femme sont déportés en Saxe en juin 1944 ; après la guerre, la famille royale s’exile d’abord en Suisse. Ce n’est qu’en 1959 que l’ex-monarque s’installe avec sa famille dans le Château d’Argenteuil, dans la province du wallon Brabant. La Bugatti y est alors répertoriée.
En 1967, l’ancien roi la vend à un collectionneur Belge qui la conservera une vingtaine d’années, sans la repolir ni la restaurer. En 1989, cette voiture de course historique passe aux mains d’un amateur américain de Bugatti qui la conserve également dans son état d’origine, n’effectuant que la maintenance de base. Elle séjournera ensuite dans les garages de deux autres célèbres collectionneurs qui respecteront eux aussi son passé et ne toucheront pas à sa carrosserie. Vieux de plus de 80 ans, ce précieux témoin de l’histoire de Bugatti au beau palmarès de course se trouve aujourd’hui entre les mains d’un passionné qui a récemment fait restaurer cette patine exceptionnelle marquant un tournant historique dans le monde automobile. Les peintures encore bien conservées mais déjà patinées, ont été pour ainsi dire scellées tandis que les zones les plus endommagées n’ont fait l’objet que de délicates réparations. Ce qui reste : des sièges en cuir usé et des cicatrices dans le volant en bois.
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