Henry Ford a dit que le sport automobile est né dès que la seconde voiture a été posée sur ses roues… Pionnier, les premiers pilotes ont participé à des rallyes pour montrer les performances de leur monture et leur fiabilité. Durant des décennies, tout ce qui roulait pouvait entrer en compétition. Petit à petit, l’aventure a laissé la place au sport. La navigation et les formules de handicap ont disparu. Le scandale du Rallye Monte-Carlo 1966 – avec la disqualification des trois MINI victorieuses – et l’arrivée des petits coupés sportifs que sont les Alpine-Renault A110, Lancia Fulvia ou Porsche 911 ont fini de professionnaliser la discipline.
En 1973, la Fédération Internationale de l’Automobile décide enfin de donner un Championnat du Monde aux rallyes. Si la discipline n’y gagne qu’un titre attribué aux constructeurs, sans que les pilotes et les copilotes ne soient invités, tout le monde se lance à l’assaut d’une consécration pour des véhicules « proches de la série ».
Alpine-Renault, BMW, Citroën, Dastun, FIAT, Ford, Lancia, Opel, Peugeot, Saab, Toyota et d’autres se donnent rendez-vous tout au long d’un premier calendrier de treize épreuves reparties en Europe, en Afrique et en Amérique. Mais de cette longue liste de constructeurs, un seul se donne les moyens de gagner ce premier titre de Champion du Monde. Sous la direction de Jacques Cheinisse, les Alpine-Renault A110 sont au départ de dix manches et s’invitent sur huit podiums – dont deux retentissants triplés au Monte-Carlo et au Tour de Corse.
Au départ de neuf villes différentes pour entamer le parcours de concentration, tout le monde attend de voir les Alpine-Renault A110. Plus l’asphalte sera sec, plus l’armada menée par Bernard Darniche, Jean-Luc Thérier, Ove Andersson, Jean-Claude Andruet et Jean-Pierre Nicolas sera intouchable. Chez FIAT et Lancia, avec les 124 rallye et Fulvia HF, on espère surtout de la neige pour Bjorn Waldegård et Sandro Munari. Ford, Datsun, Opel et Renault ont des ambitions plus mesurées.
Sur la route de Monaco, un premier chrono donne l’avantage à Sandro Munari (Lancia), devant Hannu Mikola (Ford), Timo Mäkinen (Ford) et Simo Lampinen (Lancia). La première Alpine-Renault A110 est reléguée à 33 secondes en 17 kilomètres avec Jean-Claude Andruet…
Sur le parcours commun, la neige est bien présente. Et pourtant, celles qui devaient ne pas pouvoir résister à ces conditions délicates dominent ! Jean-Luc Thérier et Jean-Claude Andruet remontent au classement. Et ce n’est qu’en profitant d’un ordre de départ avantageux que Hannu Mikkola défend sa première place avant la nuit. Dans Burzet, des congères rendent la route quasiment impraticable. Waldegård sort pour le compte et la spéciale est interrompue pour secourir un autre copilote blessé. Lorsque les 144 équipages amateurs sont à nouveau autorisés à s’élancer, la montée est impraticable. Bloqués, ils sont tous exclus…
De nuit, Andruet est en tête du rallye, mais une erreur de communication des temps fait croire que Munari occupe la première position. S’imaginant chasseur, Andruet commet plusieurs erreurs en sortant sur de la neige lancée par des spectateurs dans Antraigues, puis encore dans Saint-Bonnet-le-Froid. Sandro Munari n’en profite pas et il abandonne. Au petit matin, les Alpine-Renault A110 ont éliminé toute la concurrence. La route vers Monaco est dégagée avec Jean-Claude Andruet devant Ove Andersson et Jean-Pierre Nicolas. Hannu Mikkola place sa Ford à plus de trois minutes.
Et pourtant, la nuit du Turini va construire sa légende… Ce jeudi soir, Jacques Cheinisse fait passer les consignes. Il ne veut pas de duels entre équipiers. Andruet le prend au mot, Andersson beaucoup moins. Le Suédois revient rapidement à une minute du leader lorsque le Français crève dans le second passage du Turini ! Il choisit de poursuivre sa route sur les dix-huit kilomètres restants sans changer de roue. La note est très lourde. Il lâche la première place du classement et se retrouve au troisième rang à plus d’une minute d’Andersson, juste derrière Jean-Pierre Nicolas.
Plus aucune consigne ne tient. Dans le Col de la Couillole, tout le monde est à l’attaque. Andruet et Nicolas sont à égalité, quand Andersson crève deux pneus. Il reste deux chronos et les trois Alpine-Renault A110 sont en vingt secondes. Dans l’ultime assaut du Turini, Andruet repasse en tête. Mais c’est le Col de la Madone qui désignera le vainqueur. Jusqu’au passage des prétendants à la victoire, le record de 1970 en 16’20’’ résiste. Mais Ove Andersson arrive en 15’23’’. Au point-stop, la performance ahurissante est vérifiée et validée. Derrière, Andruet et Biche croisent la ligne : 15’11’’. Toutes les références tombent. Quant à Jean-Pierre Nicolas, il ne peut défendre ses chances à cause d’une panne d’essence qui lui fait parcourir la descente en roue libre.
Jean-Claude Andruet et Ove Andersson terminent aux deux premières places, mais ils font leurs adieux à Alpine-Renault au terme de cette première manche de la saison pour respectivement rejoindre Lancia et Toyota. La suite de la saison tourne néanmoins à l’avantage de l’équipe française avec des victoires au Portugal (Thérier/Jaubert), au Maroc (Darniche/Mahé), à l’Acropole (Thérier/Delferrier), au Sanremo (Thérier/Jaubert) et au Tour de Corse (Nicolas/Vial). Au terme de la saison, Alpine-Renault compte 147 points, contre 81 à FIAT et 76 à Ford… L’armada française s’offre le tout premier titre de Champion du Monde des Rallyes de l’histoire et montre la voie à ceux qui voudront lui succéder : engager une multitude de talents, partout dans le monde, pour écraser la concurrence.
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