Il est des lieux ainsi. Des lieux mythiques, de légendes, phénoménaux, historiques. Le Col de Turini en fait partie, comme le Stade Geoffroy-Guichard des Verts, la Trouée d’Arenberg du Paris-Roubaix, le Mont Ventoux du Tour de France. Des lieux qui ont vu des exploits sportifs, des vies humaines changer, des larmes, des cris de joie, une joie populaire que seul le sport peut créer, comme un créateur officiel d’émotions.
Le Col du Turini intervient sur l’épreuve chronométrée La Bollène Vesubie – Moulinet, ou celle encore appelée Col de Turini. Aujourd’hui disputée lors du dernier jour du Rallye Monte-Carlo. Elle était autrefois l’emblème de celle qu’on appelle la nuit du Turini. Un passage au col de nuit, dans une ambiance indescriptible.
Un petit village peuplé d’irréductibles
C’est un petit village, on y entre par un virage à droite, on en sort par un virage à gauche. Entre ces deux virages, moins de deux cent mètres. Deux cent mètres d’émotion folle, de lumières, de flashs, de fumigènes, d’un public en joie, d’un climat particulier dans la voiture, un moment hors du temps.
Il y a deux ans, j’ouvrais le Rallye Monte-Carlo pour mon pote Victor Bellotto. Copilote tous les deux, amis de longue date, il me demandait d’être ses yeux, œuvrant à lui corriger ses notes avant son passage en course. Un job de haute voltige, annotant chaque virage. Durant les deux jours de course, nous avions, avec Nicolas Romiguière qui était mon pilote sur ce Monte-Carlo 2014, eu pas mal de pluie. Un Monte-Carlo, humide, trempé, façon RAC Rally. Pas très fun en fait, pas très Monte-Carl’.
Venez l’heure du mythe. Nous nous entendions bien avec Nicolas, la mayonnaise avait pris en quelques kilomètres. En bas du village de La Bollène Vesubie, les gendarmes étaient là, interdisant la montée du col aux voitures non équipées de pneus neige. Nous en étions équipés. Vint le départ de la spéciale, l’ascension du col, les virages ne cessant pas de se dessiner d’une courbe à une autre. De nouvelles notes arrivaient dans la bouche de Nicolas, d’abord « soupe » puis une autre, un troisième, puis quand chaque virage était rempli de cette soupe de neige, il me disait « zone soupe » dans cette montée incessante. Alors vint le mot « neige » puis un deuxième « neige », un troisième et comme pour la soupe, cela devenait vraiment une zone neige, des kilomètres de neige, de rails de neige, d’une trace à suivre.
Au détour d’un virage, sur notre droite, une maison se dessine dans la tempête de neige. Au fur et à mesure qu’on approche, on distingue ses formes, son balcon de bois, quelques spectateurs sont là, les premiers de toute la montée. Puis à quelques mètres de l’entrée sur le col, ils sont des dizaines, des centaines à crier, applaudir, emplis de joie. Nous ne sommes qu’ouvreurs. Mais nous sommes dans la fête, l’ambiance, acteurs de ce Monte-Carlo qui fait tant rêver. Virage à droite, vous y voici au col de Turini, la route est large, 200 mètres plus tard, virage à droite, les spectateurs sont toujours là. Virage passé, il est temps de faire la bascule, de descendre du col, plein de neige… puis d’enchainer une descente vertigineuse pleine d’épingles à cheveux.
1973, l’histoire
C’est ça le Col de Turini. Une spéciale longue de 15 ou 25 kilomètres selon les années. Des conditions dantesques, une ambiance exceptionnelle, un tracé prodigieux, là où de nombreux pilotes ont vu leurs carrières changer. On pensera à François Delecour en 1991 et son « j’ai pas tapé », la sortie de route de Gérard Larrousse alors qu’il est en tête de la course, les spectateurs ayant mis de la neige sur le parcours 100% asphalte. Et bien d’autres…
Si Alpine a choisi le Col de Turini, c’est aussi et surtout pour l’année 1973. Cette année là, le Championnat du Monde des Rallyes vit sa première année. Seul le championnat Constructeurs existe. Alpine est là en force et ne compte laisser Fiat, Ford ou Lancia lui damer le pion.
Rallye Monte-Carlo 1973. Jean-Claude Andruet et Ove Andersson sont au coude à coude, le Français en tête, ils sont tous deux engagés par la marque Alpine. Spéciale n°4, Col du Turini. Dans la bataille, Andruet est victime d’une crevaison. Pour lui, le rallye est terminé, c’est l’abandon. Battante, sa copilote Biche le pousse à terminer la spéciale, avec le pneu arrière gauche à plat. A l’arrivée de la spéciale, il se retrouve 3ème du rallye, à plus d’une minute de Suédois Andersson. Spéciale suivante, c’est au tour de ce dernier de partir à la faute, tapant un mur de neige, éclatant deux pneus. Andruet, comme son équipier Jean-Pierre Nicolas signent le meilleur temps ex-æquo. Le Suédois est toujours en tête, avec 10 secondes d’avance sur Nicolas. Andruet se retrouve en bagarre pour la victoire, et reprend la tête de la course dans l’avant-dernière spéciale : le col de Turini. Andruet « pose » 14 secondes à Andersson, 21 à Nicolas avant la dernière spéciale. Il reste les 18 kilomètres du col de la Madonne à disputer, Andruet ne compte pas laisser ce Monte-Carlo 73 à ses petits copains. Il se lâche comme jamais, son Alpine A110 1800 bleue vole de virage en virage. Et ça paye : il signe le meilleur temps, infligeant une demi-seconde au kilomètre à son coéquipier scandinave.
Jean-Claude Andruet termine le Rallye Monte-Carlo 1973 avec 26 secondes d’avance sur Andersson. A la suite des cinq jours de courses et d’un final à rebondissements, Alpine place cinq de ses A110 aux si première places. Jean-Claude Andruet remporte ce premier rallye du Championnat du Monde, Ove Andersson et Jean-Pierre Nicolas se placent sur le podium. Derrière, Jean-Luc Therier et Jean-Francois Piot terminent cinq et sixième.
Alpine aura marqué de son empreinte l’histoire du Rallye Monte-Carlo et du WRC, le Col du Turini ayant fait la différence au profit d’Alpine, d’Andruet et de Biche, sa copilote. D’où le choix de ce célébrissime Col pour fêter le renouveau de la marque bleue…
Col de Turini en images
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